La République : quelle(s) réalité(s) constitutionnelle(s) ?

1730206759235

Par Léa DUBOIS et Célestine SÉGIER, étudiantes du Master 2 Droit public général et contentieux publics de l’Université de Lille.

Le 28 novembre 2024 se tenait, à la faculté des sciences juridiques, économiques et sociales de l’Université de Lille, la journée décentralisée de la Commission de la jeune recherche en droit constitutionnel (CJRC) sur « La République : quelle(s) réalité(s) constitutionnelle(s) ? », avec le soutien de la Chaire d’Études parlementaires, de l’AFDC, du CRDP de Lille, de l’IPAG de Nanterre et de l’ERDP de Lille. Cette interrogation a structuré la journée organisée par deux doctorants de l’Équipe de Recherche en Droit Public (ERDP) et membres de la CJRC, Mathilde Chavatte et Samuel Turi. Ce colloque a rassemblé doctorants et titulaires autour d’un concept qui, bien que central dans le débat public, demeure marqué par une indétermination juridique et historique : la République.

Depuis son inauguration normative par la Convention nationale en 1792 jusqu’à sa reconnaissance juridictionnelle par le juge, en passant par ses textes fondateurs, l’idée républicaine n’a cessé de revêtir des significations diverses et parfois contradictoires. Conçue comme « l’antithèse de la monarchie », un « mode d’organisation des pouvoirs publics », une « source de droits et de devoirs » ou encore un « idéal à réaliser », la République témoigne d’une pluralité de définitions qui en complexifie l’intelligibilité juridique. 

Ce colloque, loin de s’en tenir à une approche purement théorique, a abordé la République dans ses multiples dimensions : son ancrage historique, ses implications dans l’ordre constitutionnel contemporain, mais également ses résonances au-delà des frontières françaises, à travers une perspective comparée. 

1

Une première table ronde portant sur « La République dans l’histoire constitutionnelle » a ouvert l’événement. Sous la présidence du Professeur Alain Laquièze, Doyen de la faculté de droit de l’Université Paris-Cité, elle a exploré des moments clés de l’histoire constitutionnelle française, mettant en lumière la tension entre les principes républicains et les réalités pratiques du pouvoir. 


Le propos a débuté par une intervention de François Saint-Bonnet, Professeur à l’Université Paris Panthéon-Assas, portant sur « l’état de siège du 24 juin 1848 ». Après avoir rappelé les événements relatifs aux Journées de Juin 1848, il s’est attelé à démontrer la fragilité juridique, constitutionnelle et institutionnelle de l’état de siège alors déclaré à Paris, conformément à la loi du 10 fructidor an V. Il a pu détailler l’attribution de la totalité des pouvoirs exécutifs au général Cavaignac, montrant ainsi comment la République, pour survivre face aux insurrections, a dû suspendre temporairement ses principes démocratiques et constitutionnels, comme la séparation des pouvoirs et la primauté de la loi. Selon lui, les circonstances exceptionnelles et le Parlement sont comme l’eau et le feu, puisque le militaire incarne l’action, la célérité et l’unité, alors que le Parlement représente, à l’inverse, la délibération, la lenteur et la pluralité. 

Emmanuel Cartier, Professeur à l’Université de Lille, a ensuite exposé les apories du traitement juridique de « l’État français », mettant en lumière comment la République a réagi au régime de Vichy. Il a expliqué comment le récit républicain a pu être réajusté, notamment par le Conseil d’État dans les affaires Papon et Dame Hoffmann, pour effacer la légitimité des actes les plus graves de Vichy, tout en reconnaissant la complexité juridique de cette période. Il s’est ainsi attelé à démontrer comment la République a « mis entre parenthèses » cet épisode historique, tout en réaffirmant sa continuité à travers la France libre, illustrant ainsi la capacité de la République à ajuster son récit constitutionnel en fonction des besoins politiques et moraux.  

Enfin, cette première table ronde s’est conclue par une intervention de Samuel Turi, ATER à l’Université de Lille et co-organisateur de cette journée, portant sur le thème « du censeur populaire au Conseil constitutionnel (1793-1958) : essai sur le concept de justice constitutionnelle républicaine ». Retraçant ainsi l’histoire de la justice constitutionnelle républicaine, il a démontré que, dès les débuts de la République, le légicentrisme n’a jamais été absolu et que le contrôle constitutionnel était déjà envisagé à travers divers dispositifs, tels que le « censeur populaire » de 1793 ou le comité constitutionnel de 1946. Il a toutefois souligné la difficulté d’un tel contrôle exercé par un organe ad hoc pour garantir la suprématie de la Constitution, en raison de son caractère trop éloigné de la souveraineté populaire. 

2
3

La journée s’est poursuivie par une deuxième table ronde, portant sur « La République dans l’ordre constitutionnel de 1958 », sous la présidence de Pauline Türk, Professeure à l’Université Nice Côte-d’Azur. Elle a permis d’analyser la notion de République dans l’ordre constitutionnel de 1958 sous plusieurs angles complémentaires.

Tout d’abord, Madame Aïda Manouguian, Maître de conférences à l’Université de Strasbourg, a abordé le rôle des « partis politiques dans l’ordre constitutionnel républicain ». Elle a souligné que, bien que les partis soient souvent analysés sous l’angle de la démocratie, leur relation avec la République est essentielle. Elle y a pointé l’instrumentalisation de l’idée républicaine par les partis pour discréditer leurs adversaires et questionné leur nécessité au sein de l’ordre républicain, rappelant l’antipathie historique de la République envers les factions. 

Ensuite, Monsieur John Christopher-Rolland, Maître de conférences à l’Université Paris-Nanterre, s’est intéressé à la « défense des principes républicains par le Conseil d’État ». Selon lui, la notion de République repose sur des garanties fondamentales comme la liberté, l’égalité et la laïcité. Il a illustré le rôle du Conseil d’État dans la protection de ces valeurs, notamment à travers des recours tels que le référé-liberté. Il a souligné l’évolution de l’égalité, qui intègre désormais des notions d’intérêt général et d’équité, et la transformation de la laïcité, passant d’une protection de la liberté de culte à une défense plus marquée de la laïcité. Ce travail d’équilibre montre le rôle clé du Conseil d’État dans la préservation des principes républicains.

Enfin, pour clôturer cette deuxième table ronde, Monsieur Samy Benzina, Professeur à l’Université de Poitiers est intervenu sur « Le Conseil constitutionnel, « gardien » de la Constitution républicaine ? ». Ce dernier a démontré le rôle limité du Conseil constitutionnel dans la défense des valeurs républicaines. En effet, si la Constitution de 1958 affirme une forme républicaine de gouvernement, ce dernier n’a jamais contrôlé directement les lois de révision, même s’il veille sur les principes républicains, notamment au travers des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République (PFRLR). Ainsi, bien que le Conseil constitutionnel ne se réfère pas explicitement à un ensemble cohérent de principes républicains, il incarne une conception traditionnelle de l’État-nation et agit comme le gardien d’une certaine vision de la République.

divers 2
divers

Lors de la troisième table ronde, la thématique « Peut-on réviser la forme républicaine du Gouvernement ? » a été abordée sous le prisme d’un débat entre les professeurs Jean-Philippe Derosier, Professeur à l’Université de Lille et Bertrand Mathieu, Professeur émérite de l’École de droit de la Sorbonne. Le débat a été modéré par Monsieur Gilles Toulemonde, Maître de conférences HDR à l’Université de Lille. La table ronde a exploré la question de l’impossibilité de réviser la forme républicaine du gouvernement, telle qu’établie par l’article 89, alinéa 5 de la Constitution. Cette interdiction trouve son origine dans une loi constitutionnelle de 1884 et vise à garantir l’irréversibilité du système républicain en empêchant un retour à la monarchie. Il a été souligné que la « forme républicaine » fait référence à une organisation institutionnelle, mais que l’identification des valeurs républicaines reste complexe, car ces valeurs sont partagées par d’autres régimes non républicains.

La discussion a mis en lumière l’idée que cet article doit être compris de manière stricte, sans tenter d’y attribuer des significations plus larges. Le Professeur Derosier a défendu que la révision de cet article, qui pourrait remettre en cause la démocratie et la souveraineté populaire, serait en contradiction avec la norme constitutionnelle. Le Professeur Mathieu, quant à lui, a souligné la possibilité de modifier cet article par une double révision, supprimant l’interdiction de révision de la forme républicaine. 

marthe

Enfin, une dernière table ronde a traité du thème de « La République dans la jurisprudence constitutionnelle — approche comparée », sous la présidence de Basile Ridard, Maître de conférences à l’Université de Lille. Celui-ci a ainsi expliqué qu’il s’agissait ici d’énoncer la République dans l’espace, au-delà des frontières nationales. Il a pu introduire le propos en s’interrogeant sur la définition de la République par les juges au sein des monarchies, notamment en Belgique, où une telle notion est quasi absente. 

Si Marthe Fatin-Rouge Stefanini, Directrice de recherche au CNRS à Aix-Marseille Université constate que, partout, la jurisprudence constitutionnelle n’utilise pas directement le terme de « République », mais des adjectifs, des valeurs ou des fondements qui y sont rattachés (démocratie, égalité, etc.), elle met cependant en lumière que cette notion est utilisée dans des contextes historiques précis. Par exemple, aux États-Unis, l’article IV de la Constitution a été interprété dans un contexte pré-Sécession pour évoquer des principes républicains, mais sans définition claire. Pour elle, la République est ainsi un idéal universellement adaptable, mais malléable au gré des contextes politiques et culturels variés, s’éloignant alors de l’héritage philosophique des Lumières. 

Ensuite, Eleonora Bottini, Professeure à l’Université de Caen-Normandie s’est concentrée sur l’article 139 de la Constitution italienne, qui interdit toute révision de la forme républicaine du régime, adoptée après le référendum de 1946 ayant instauré la République. Elle a ainsi pu développer que, pour la Cour constitutionnelle et la doctrine italiennes, cette interdiction de réviser la forme républicaine du régime s’inscrit dans un contexte d’opposition au fascisme, permettant de protéger tant la démocratie participative, les droits électoraux, les droits inviolables et fondamentaux de la personne, que l’ordre constitutionnel italien contre certains ordres juridiques extérieurs, moins protecteurs des droits fondamentaux. 

Cette table ronde s’est clôturée par l’intervention de Madame Maria Kordeva, Maître de conférences à l’Université de La Sarre, portant sur la République dans la jurisprudence de la Cour constitutionnelle allemande. Elle a ainsi pu faire remarquer que la notion de République est complètement absente dans la jurisprudence allemande, tout comme la charge symbolique qui pourrait y être rattachée. Expliquant que, contrairement à d’autres pays, l’Allemagne ne lie pas la République à un idéal ou à des valeurs spécifiques, elle démontre que la République fédérale d’Allemagne correspond seulement à une simple structure institutionnelle. 

DR

Cette journée décentralisée s’est enfin conclue par les propos de Dominique Rousseau, Professeur émérite à l’Université Paris I – Panthéon-Sorbonne. Il a exposé que le colloque avait exploré l’identité et les réalités constitutionnelles de la République, définie alors non comme une forme de l’État ou de Gouvernement, mais comme une idée régulatrice et dynamique, centrée sur le « bien vivre ensemble ». Cette idée, d’origine philosophique (Platon et Aristote), se traduit juridiquement par les droits de l’Homme, non individuels mais relationnels, créant un espace public harmonieux malgré les différences. 

Dominique Rousseau a évoqué que l’idéal républicain invitait à agir et que son évolution, portée par l’action des citoyens et des juges constitutionnels, est constante en raison des enjeux nouveaux (égalité hommes-femmes, protection de la biodiversité, lutte contre le changement climatique, etc.). Pour lui, ces discussions ont permis de mettre en lumière les défis que pose la République, à la fois comme « mode d’organisation des pouvoirs publics » et comme instrument de promotion de valeurs fondamentales telles que l’égalité. 

5
65 ans de la Ve République : une analyse prospective de la Constitution (Ouvrage)

65 ans de la Ve République : une analyse prospective de la Constitution (Ouvrage)

Sous la direction scientifique de Jean-Philippe Derosier.

Les auteurs : A. Bachert-Peretti, G. Bergougnous, V. Bertile, Ph. Blachèr, E. Cartier, B.-L. Combrade, S. Damarey, A. de Montis, J.-Ph. Derosier, T. Ducharme, C. Geynet-Dussauze, L. Guilloud-Colliat, R. Le Boeuf, B. Lecoq-Pujade, É. Lemaire, X. Magnon, B. Mathieu, D. Maus, P.-Y. Monjal, É. Moysan-Jeannard, J. Padovani, C. Parent, M.-O. Peyroux-Sissoko, É. Quinart, O. Renaudie, É. Ruggeri Abonnat, S. Thiéry, J. Thomas, G. Toulemonde, P. Türk, G. Tusseau, J.-J. Urvoas.

Dublin !

Dublin !

Journée du droit à Dublin sous l'égide de l'Ambassade de France.

Au cœur des droits : le rôle essentiel du Défenseur des droits

Au cœur des droits : le rôle essentiel du Défenseur des droits

Par Bérénice FARVACQUES, étudiante de Master 2 à l'Université de Lille