Élection présidentielle en Roumanie : comprendre en cinq questions à Elena-Simina Tanasescu, Juge à la Cour constitutionnelle de Roumanie

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Par Elena-Simina TANASESCU, Juge à la Cour constitutionnelle de Roumanie

 

Jean-Philippe Derosier : L’élection présidentielle de Roumanie a eu lieu les 4 et 18 mai 2025, avec la victoire de Nicusor Dan (53,60%), candidat libéral pro-européen (officiellement « Indépendant ») et maire de Bucarest, face à George Simion (46,40%), candidat nationaliste et eurosceptique dextrême droite. La date de ce scrutin est toutefois la conséquence dun report dû à lannulation, le 6 décembre 2024, du premier tour du scrutin, qui avait été organisé le 24 novembre 2024. À l’époque, Calin Georgescu, candidat pro-russe et dextrême-droite était arrivé en tête avec 22,94% des voix, déjouant fortement les sondages. Pouvez-vous nous rappeler les raisons qui ont conduit à lannulation de ce premier tour du scrutin par la Cour constitutionnelle, à la veille du second tour (initialement prévu le 8 décembre 2024)

Elena-Simina Tanasescu : Permettez-moi de remercier La Chaire d’études parlementaires pour l’intérêt porté aux élections présidentielles et plus largement, à la démocratie de Roumanie dans une période et un contexte au sein desquels les expériences et le droit comparé(es) deviennent de plus en plus importantes pour l’ensemble des pays européens.  

Pour mieux comprendre l’Arrêt n°32/2024 par lequel la Cour constitutionnelle roumaine a annulé le premier tour de l’élection présidentielle de 2024, il est essentiel de retracer la succession rapide des évènements qui l’ont précédé. 

Le 26 novembre 2024, le Bureau Électoral Central a officiellement annoncé les résultats du premier tour de scrutin, avec respectivement M. Călin Georgescu et Mme Elena Lasconi en tête. Dans les délais très brefs imposés par la loi électorale, deux candidats – non qualifiés pour le second tour – ont introduit des recours devant la Cour constitutionnelle concernant le déroulement du processus électoral. L’un des requérants a soulevé des allégations selon lesquelles M. Georgescu aurait violé les règles relatives au financement des campagnes électorales, ce dernier n’ayant déclaré aucune dépense de campagne auprès de l’Autorité Électorale Permanente. Ce requérant a également affirmé que la campagne de M. Georgescu reposait sur une stratégie complexe fondée sur l’utilisation de l’intelligence artificielle et de réseaux de bots, dans le but d’influencer les algorithmes des réseaux sociaux. Par ailleurs, il a dénoncé le recours à une campagne d’envergure et non déclarée, financée via la plateforme FameUp, impliquant des influenceurs diffusant les messages du candidat. Selon ce requérant, les faits allégués violaient plusieurs actes juridiques européens, entre autres le Règlement européen sur les services numériques (Règlement (UE) 2022/2065 relatif à un marché unique des services numériques et modifiant la directive 2000/31/CE) et le Règlement (UE) 2024/900 relatif à la transparence et au ciblage de la publicité à caractère politique. Le second requérant a signalé des irrégularités s’agissant des résultats du scrutin dans plusieurs bureaux de vote du pays. En conséquence, le 28 novembre 2024, la Cour constitutionnelle a exigé la vérification de tous les bulletins de vote, laquelle n’a pas révélé de fraude électorale de nature à modifier l’attribution du mandat.

Le même jour (le 28 novembre 2024) une réunion du Conseil Suprême de la Défense du Pays (CSDP) – institution dirigée par le Président de la Roumanie et réunissant les représentants des principales structures de la défense nationale, ainsi que d’autres autorités compétentes en la matière – a établi qu’un candidat à l’élection présidentielle avait bénéficié, en violation de la législation électorale, d’une exposition massive résultant d’un traitement préférentiel sur les réseaux sociaux, en particulier sur la plateforme TikTok. Un communiqué de presse du CSDP a précisé que les informations ont été fournies par les principales structures nationales de renseignement : le Service roumain de renseignements (SRI), le Service de renseignements extérieurs (SIE), le Service des télécommunications spéciales (STS) et la Direction générale de la protection intérieure du ministère des affaires intérieures. Par la suite, le 4 décembre 2024, le Président de la Roumanie a déclassifié les notes d’information transmises par ces structures, les rendant ainsi publiques.

Prenant acte de l’ensemble de ces informations, le 6 décembre 2024, la Cour constitutionnelle roumaine a rendu l’Arrêt n°32/2024 et a constaté que : « le processus électoral relatif à l’élection du Président de la Roumanie a été entaché, tout au long de son déroulement et à toutes ses étapes, de multiples irrégularités et violations de la législation électorale, altérant le caractère libre et équitable du vote exprimé par les citoyens ainsi que l’égalité des chances entre les candidats, portant atteinte à la transparence et à l’équité de la campagne électorale, et méconnaissant les règles juridiques relatives à son financement ». Pour motiver cette constatation, la Cour s’est appuyée sur les notes d’information des structures du système national de défense qui étaient devenues publiques depuis deux jours. Ces notes d’information démontraient l’usage non transparent, et en violation de la législation électorale, des technologies numériques et de l’intelligence artificielle tout au long de la campagne électorale, ainsi que des manquements aux règles relatives à son financement. 

Selon la Cour, ces faits – documentés dans des notes d’information à vocation interne et donc secrète, mais qui ont été rendues publiques pour la première fois en 35 ans d’existence de la Constitution – démontraient la violation de deux conditions essentielles d’une élection démocratique : le caractère libre du vote exprimé par les électeurs et l’égalité des chances entre candidats. Le caractère libre du vote a été compromis par des campagnes de désinformation ayant contourné la législation nationale applicable aux algorithmes des plateformes sociales, en particulier dans des contextes électoraux. S’y ajoute la non-conformité aux obligations légales de signalement spécifique du contenu électoral, de leur auteur et de leurs sources de financement – éléments indispensables à une information sincère de l’électorat. L’égalité des chances a donc été violée par l’usage systématique de ressources financières non déclarées, en contradiction avec les procédures prévues par la législation relative au financement des campagnes électorales.

Jean-Philippe Derosier : Au lendemain de votre décision du 5 décembre 2024, plusieurs voix dans la presse ont dénoncé ou regretté une forme de coup d’État, au prétexte que votre décision n’était juridiquement pas suffisamment fondée. En particulier, on a pu sinterroger sur le fondement de votre compétence ou sur la possibilité daccéder aux preuves et den apprécier le bien-fondé. Comment la Cour constitutionnelle a-t-elle fait face à ces difficultés et les avait-elle anticipées ?

Elena-Simina Tanasescu : La Constitution de la Roumanie prévoit expressément la compétence de la Cour constitutionnelle en matière électorale, en disposant que la Cour « veille au respect de la procédure d’élection du Président de la Roumanie et confirme les résultats du scrutin » (article 146, lettre f). Cette compétence est détaillée par la Loi n° 370/2004 relative à l’élection du Président de la Roumanie, qui énumère une série de trois attributions de la Cour dans le cadre du processus électoral présidentiel, à savoir la solution des contestations relatives à l’enregistrement ou au rejet de l’enregistrement des candidats ou des signes électoraux, la solution des plaintes concernant l’empêchement d’un parti politique ou d’un candidat de faire campagne électorale et la  validation ou l’invalidation des résultats définitifs de l’élection. 

Pour les lecteurs étrangers, il faut préciser que la Cour constitutionnelle roumaine ne dispose pas du monopole du contentieux électoral. En Roumanie, le contentieux électoral parlementaire, ainsi que celui relatif aux élections locales, relèvent de la compétence exclusive des tribunaux ordinaires, alors que le contentieux électoral présidentiel est partagé entre les tribunaux et la Cour. Plus particulièrement, les tribunaux disposent de la compétence générale relative au bon déroulement des élections (régularité des listes électorales, régularité de la campagne électorale, régularité des opérations de vote, etc.), alors que la Cour constitutionnelle dispose d’une compétence d’attribution, limitée par la Loi n°370/2004, uniquement aux trois hypothèses susmentionnées. 

Par conséquent, la Cour constitutionnelle est compétente pour valider ou invalider uniquement l’élection présidentielle, et non pas d’autres types de scrutin. De même qu’elle doit opérer selon ses propres règles de procédure, et non selon les règles spécifiques aux tribunaux ordinaires, y compris en matière de preuves. En outre, le contentieux constitutionnel – tel qu’il est pratiqué par les Cours constitutionnelles qui appartiennent au modèle européen de justice constitutionnelle – est un contentieux abstrait, qui ne repose pas sur l’administration des preuves dans le sens procédural du terme, entendu comme le droit commun applicable aux tribunaux ordinaires. D’ailleurs, il aurait été difficile « d’accéder aux preuves » dans les délais propres à une élection présidentielle, notamment dans les cas où la Cour ne dispose parfois que de 24 heures pour rendre un arrêt et d’autant plus si « accéder aux preuves » signifie prouver au-delà de tout doute raisonnable que des algorithmes des réseaux sociaux ont pu être influencés par des réseaux de bots et que l’intelligence artificielle a été utilisée de manière illégale. 

En outre, l’arrêt de la Cour a valorisé des notes d’information rédigées par les structures compétentes en matière de renseignement et de défense nationale, et qui ont été déclassifiées et rendues publiques sur demande du Président de la Roumanie. La véracité de ces informations a été assumée par toutes ces structures et autorités publiques. Leur pertinence doit être jugée aussi au regard de l’évènement sans précédent de leur déclassification intégrale et de leur mise à disposition de l’ensemble de la population de Roumanie. La Cour a fondé ses arguments sur des informations qui avaient déjà été portées à la connaissance du public, assurant par là-même la transparence de son raisonnement.

Je ne pense pas exagérer si j’affirme qu’une situation comme celle à laquelle la Cour constitutionnelle roumaine a été confrontée en décembre 2024 n’aurait pas pu être anticipée. Également, j’ose espérer que des leçons ont pu être tirées pour le futur. Quant aux allégations d’illégalité ou d’inconstitutionnalité ou d’atteinte à l’État de droit, je me contente de renvoyer au texte de l’arrêt n°32/2024, lequel expose les raisons de l’annulation de l’élection présidentielle et fait appel aux autorités compétentes pour organiser un autre scrutin pour la désignation de la seule autorité publique unipersonnelle qui dispose de la légitimité directe en Roumanie : le chef de l’État.

Jean-Philippe Derosier : Par une autre décision du 11 mars 2025, vous avez confirmé la décision de la commission électorale roumaine dinvalider la candidature au nouveau scrutin de Calin Georgescu, le candidat arrivé en tête du premier tour annulé. Quelles étaient les raisons de cette invalidation et navez-vous pas craints d’être accusés, à nouveau et à plus forte raison, dempêcher lexpression démocratique en privant le peuple du candidat quil semblait plébisciter ?

Elena-Simina Tanasescu : Pour mieux saisir la portée de l’Arrêt n°7 du 11 mars 2025, il convient de préciser que, du point de vue de la Cour constitutionnelle, l’ensemble de la succession d’événements et de procédures intervenues entre septembre 2024 et mai 2025 constitue un processus électoral unique, destiné à designer le Président de la Roumanie, et qui fait suite à l’expiration du mandat de 5 ans du Président élu en 2019. 

Bien que cette situation soit totalement inédite en Roumanie, elle présente certaines similitudes avec la répétition du second tour de l’élection présidentielle décidée par la Cour constitutionnelle autrichienne le 1er juillet 2016. Dans ce cas, la Cour autrichienne avait exigé la « répétition » du scrutin au cours duquel des irrégularités avaient été constatées. Comme en Roumanie, l’élément déterminant pour la juridiction constitutionnelle autrichienne tenait à ce que que la volonté des électeurs avait subi une distorsion, indépendamment de l’impact quantitatif concret que cette dernière ait pu avoir sur le nombre de voix finalement obtenu par les candidats. De même, dans le rapport de l’OSCE/BIDDH concernant le scrutin de décembre 2016 organisé à la suite de la décision de la Cour constitutionnelle autrichienne, le terme de « second tour répété » est expressément utilisé, ce qui confirme la perspective de continuité d’un seul et même processus électoral. 

La même approche a été adoptée par la Cour constitutionnelle roumaine lorsque, dans son Arrêt n°32 du 6 décembre 2024, elle a décidé que « le processus électoral (…) sera répété (…) ». Ces précisions sont importantes afin de souligner que la position de la Cour dans l’Arrêt n°7 du 11 mars 2025 concernant la candidature de M. Călin Georgescu ne pouvait pas être dissociée de l’ensemble du processus électoral visé.

De même, pour bien comprendre ce dernier Arrêt, il faut rappeler que, selon la législation électorale roumaine, tout candidat à la fonction de Président de la Roumanie doit satisfaire à une série de conditions de forme (telles que le dépôt d’une déclaration d’acceptation de candidature, assortie d’au moins 200 000 signatures de soutien, la déclaration sur l’honneur du candidat attestant ou non sa collaboration avec la Securitate), et de fond (avoir 35 ans au moins, posséder la citoyenneté roumaine, résider en Roumanie, ne pas être frappé d’interdiction légale de se porter candidat – par exemple, avoir déjà exercé deux mandats présidentiels, avoir perdu ses droits électoraux à la suite d’une condamnation pénale, ou être interdit d’adhésion à un parti politique). Dans sa jurisprudence, la Cour constitutionnelle roumaine a établi que le cadre général dans lequel ces conditions de forme et de fond doivent être appréciées est fourni par le Titre I de la Constitution, qui énonce les principes fondamentaux de l’État roumain, les valeurs et principes constitutionnels constitutifs de la démocratie constitutionnelle. Ces principes et valeurs doivent irriguer non seulement les processus électoraux, mais également l’ensemble de la vie étatique qui s’organise dans le cadre fixé par la Constitution. 

S’agissant du cas concret du candidat Călin Georgescu, lors du scrutin répété, c’est-à-dire en mars 2025, le Bureau électoral central a rejeté sa candidature. En effet, le Bureau a expliqué que le non-respect par ce même candidat des règles électorales lors du processus électoral déclenché en 2024, qui avait conduit à l’annulation de ce tour de scrutin, constituait une violation de « lobligation de défendre la démocratie, qui repose précisément sur des scrutins justes, intègres et impartiaux, conformément à la loi, dont labsence altère le fondement même de lordre constitutionnel actuel ». Dans son raisonnement juridique, le Bureau électoral central a cité expressément l’Arrêt n°32/2024, et il a fait l’application directe de la Constitution et a rejeté la candidature du M. Călin Georgescu. 

La Cour constitutionnelle étant compétente pour statuer sur les contestations relatives à l’enregistrement ou non des candidats, elle a été saisie par M. Călin Georgescu afin d’annuler la décision prise par le Bureau électoral central. Dans son Arrêt n°7 du 11 mars 2025, elle a constaté, entre autres, qu’il s’agissait du même contexte et du même processus électoral qu’en décembre 2024 (consécutif à la fin du mandat du Président élu en 2019), même si certaines procédures comme la désignation des bureaux électoraux ou le dépôt des candidatures ont dû être relancées. Elle a également constaté que le Bureau électoral central avait fait une application directe de la Constitution lorsqu’il avait rejeté l’enregistrement de cette candidature au vu de l’Arrêt n°32 du 6 décembre 2024, lequel a été pris dans des circonstances exceptionnelles, concernant une situation hors commun. Par conséquent, la Cour n’a pas identifié d’arguments juridiques permettant de renverser la décision prise par le Bureau électoral central. La conséquence directe de cet Arrêt de la Cour a été l’impossibilité pour le candidat d’enregistrer sa candidature dans le cadre du scrutin répété. Techniquement, la décision avait déjà été prise par le Bureau électoral central et la Cour constitutionnelle n’a fait que la valider.  

Jean-Philippe Derosier : Après le second tour du 18 mai 2025, le candidat battu a successivement contesté les résultats par voie de presse, puis reconnu sa défaite et les résultats pour, enfin, introduire un recours devant la Cour constitutionnelle les contestant par la voie contentieuse. Vous les avez néanmoins proclamés officiellement. Quels étaient ses arguments et pourquoi les avez-vous rejetés ?

Elena-Simina Tanasescu : Le 22 mai 2025, la Cour constitutionnelle a examiné la régularité du déroulement du scrutin relatif à l’élection du Président de la Roumanie, puis confirmé les résultats du scrutin et validé l’élection de M. Nicușor-Daniel Dan. Concernant le recours introduit par M. George-Nicolae Simion, il s’est fondé sur l’article 52, alinéa (1) de la Loi n° 370/2004 relative à l’élection du Président de la Roumanie, lequel dispose que « la Cour constitutionnelle annule l’élection dans le cas où le vote et la détermination des résultats ont eu lieu par fraude de nature à modifier lattribution du mandat ». Or, en l’espèce, sur la base des documents soumis par le requérant, ainsi que ceux déjà en sa possession, la Cour n’a relevé aucune irrégularité de nature à invalider le résultat du scrutin. Cela ne constitue pas un argument juridique en tant que tel, mais dans le contexte particulier de l’élection présidentielle roumaine de 2024 – 2025, le constat fait ex propriis sensibus par M. Trey Trainor lors de sa visite en Roumanie en mai 2025 en tant qu’observateur électoral peut être révélateur : 

« En tant que membre de la commission électorale fédérale, j’ai observé des élections dans le monde entier et le système roumain apparaît comme un modèle de transparence, de sécurité et d’engagement civique.

Le vote dans toute la Roumanie s’est déroulé de manière ordonnée, avec de solides garanties en place. Chaque voix a été exprimée à l’aide d’un bulletin de vote papier, et l’ensemble du processus de dépouillement des bulletins de vote s’est déroulé non seulement en présence d’observateurs de tous les partis politiques, mais a également été enregistré sur vidéo afin de garantir la transparence. Il n’y a pas eu de retard dans la communication des résultats. En effet, le pays tout entier a terminé son décompte électoral dans les heures qui ont suivi la fermeture des bureaux de vote, ce qui témoigne à la fois de la simplicité et de l’intégrité du processus. » 

Jean-Philippe Derosier : En définitive, quel bilan pensez-vous que la Cour constitutionnelle pourra tirer de cette séquence et cette dernière aura-t-elle un impact sur son fonctionnement et sa place au sein de du régime roumain ?

Elena-Simina Tanasescu :  Je considère que l’ensemble du processus électoral visant à désigner le Président de la Roumanie – l’élection de 2024 avec sa répétition en 2025 – a représenté un défi pour la stabilité de la démocratie roumaine et pour la résilience de ses institutions constitutionnelles. Dans l’architecture constitutionnelle de l’État roumain, la Cour constitutionnelle est perçue comme l’arbitre final de l’élection présidentielle. En conséquence, la Cour a joué le rôle de garant ultime de l’ordre constitutionnel dans des situations difficiles, voire extrêmes. 

Il faut néanmoins souligner que la Cour est intervenue en tant qu’autorité décisionnelle ultime, gardienne de la démocratie constitutionnelle dans un seul cas, à travers son Arrêt n°32 du 6 décembre 2024. Dans les autres situations, elle était intervenue uniquement pour confirmer ou infirmer des décisions déjà examinées par le Bureau électoral central, comme ce fut le cas dans son Arrêt n°7 du 11 mars 2025. Il est tout aussi significatif que l’Arrêt n°32 du 6 décembre 2024, par lequel elle a ordonné la reprise de l’ensemble du processus électoral, précise expressément que les autorités compétentes pour organiser les élections continueront à exercer leurs attributions conformément au cadre juridique en vigueur, sans que la Cour ne leur impose de nouvelles normes ou mesures susceptibles de constituer une « intervention brutale », de nature à modifier le cadre normatif ou institutionnel existant. De cette manière, la Cour constitutionnelle a gardé sa place dans le système constitutionnel roumain, en agissant dans le cadre du paradigme préexistant, qui lui confère le rôle de veiller au respect de la procédure d’élection du Président de la Roumanie. Elle ne s’est pas comportée comme un acteur militant. Elle a simplement respecté le cadre normatif propre aux élections présidentielles et fait appel aux autorités compétentes pour l’organisation du nouveau scrutin.

Dans le même ordre d’idées, cette expérience a démontré – tant aux autorités roumaines que, peut-être, aux autres États – que la démocratie et les processus électoraux sont mis à rude épreuve par des évolutions technologiques, notamment l’accès généralisé de la population à Internet et, implicitement, aux réseaux sociaux ; les algorithmes opaques à travers lesquels ces plateformes promeuvent des contenus, y compris de la propagande électorale ; ou encore la possibilité de transferts financiers sans traçabilité, utilisés comme forme de financement des campagnes électorales en ligne. Tous ces défis représentent de véritables tests pour la capacité juridique et opérationnelle des autorités publiques. L’expérience roumaine doit donc être prise en considération pour repenser le cadre applicable aux processus électoraux, tant en ce qui concerne le contrôle du financement des campagnes, qu’en vue de la création d’autorités spécialisées, chargées de surveiller et de contrer des potentielles campagnes de désinformation en ligne. Bien que le mécanisme légal d’annulation des élections ait été utilisé dans ce cas précis, il serait souhaitable qu’à l’avenir, de tels risques puissent être anticipés, aussi bien pour la Roumanie que pour d’autres États. Dans cette perspective, une réévaluation de l’architecture constitutionnelle existante pourrait également être envisagée afin de l’adapter aux réalités et aux risques propres à la société numérique contemporaine.

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