Une année 2024 de tous les records pour la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique

hatvp

Par Camille BORDÈRE, Chercheuse postdoctorale au sein de la Chaire Droit public et politique comparés, Université Jean Monnet Saint-Étienne.

 

L’année 2024 aura été une année chargée pour la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique (HATVP). Même si elle s’annonçait comme telle, la succession des évènements politiques autour de ces élections n’aura pas contribué à la simplifier. Une dissolution de l’Assemblée nationale, l’organisation d’élections législatives anticipées et une valse des gouvernements sur toute l’année 2024 auront généré pas moins de 13 000 déclarations de situation patrimoniale et déclarations d’intérêts à traiter, sans compter les plus de 600 avis rendus sur les nominations à des emplois publics et sur des mobilités vers le secteur privé d’anciens responsables publics. Ajoutons l’ajout de nouvelles missions en matière de prévention et de limitation des risques d’ingérence étrangère, et 2024 apparaît bien comme une année record pour la Haute Autorité.

Le rapport annuel de l’année 2024 est ainsi indéniablement marqué par une année certes riche, mais surtout inédite pour la HATVP. 

I- Un contexte politique exceptionnel

La HATVP s’était préparée à une année 2024 relativement intense, tant sur le plan strictement électoral que plus largement politique. La Haute Autorité avait ainsi anticipé le traitement des déclarations de situation patrimoniale et d’intérêts des sénateurs élus dans le cadre des élections sénatoriales du 24 septembre 2023 et les élections européennes du 9 juin 2024, ainsi que les grands évènements sportifs de l’année (la Coupe du monde de rugby de 2023 et, évidemment, les jeux Olympiques et Paralympiques de 2024), qui invitaient à une attention toute particulière quant aux déclarations des dirigeants des fédérations et ligues sportives soumises à son contrôle. Pour rappel, l’ensemble des hauts cadres au sein des organisations sportives (présidents, vice-présidents, trésoriers et secrétaires généraux) est en effet soumis à une obligation de déclaration de situation patrimoniale et d’intérêts, sans publication.

L’année a cependant été ponctuée d’évènements politiques plus ou moins inattendus ; un nouveau gouvernement (celui de Gabriel Attal) au 11 janvier, une dissolution de l’Assemblée nationale prononcée le 9 juin, des élections législatives anticipées les 30 juin et 7 juillet, la nomination, puis la censure, du gouvernement de Michel Barnier entre septembre et décembre et la nomination du gouvernement de François Bayrou dans la foulée, sans compter la démission du président Didier Migaud et son remplacement par intérim, auront, chacun à leur tour, pesé sur les missions de la Haute Autorité. Il faut dire que tous ces évènements ont conduit à des mouvements d’arrivée, de départ et de mobilité de l’ensemble des responsables politiques concernés, parfois à très brève échéance (c’était tout particulièrement le cas des membres du gouvernement de Michel Barnier). La HATVP a donc dû parvenir à une réactivité et à une mobilisation extrêmement rapide, pour assurer l’ensemble des contrôles nécessaires (vis-à-vis des nouveaux membres des gouvernements successifs et des nouveaux élus, mais aussi vis-à-vis de la mobilité des anciens responsables politiques vers le secteur privé) et pour remplir sa mission d’accompagnement des nouveaux élus.

Ce contexte très particulier a ainsi généré un volume de dossiers inédits pour la HATVP.

II- Une année 2024 de tous les records

La hausse du nombre des dossiers soumis à la HATVP sur l’année 2024 est évidente : par rapport à l’année 2023, ce sont ainsi plus de 4000 déclarations de situation patrimoniale et d’intérêts supplémentaires qui ont été déposés par des responsables politiques, et 200 avis supplémentaires rendus par la Haute Autorité, sur des projets de mobilité du privé vers le public ou du public vers le privé. L’augmentation est toute aussi perceptible du côté de sa mission d’accompagnement et d’assistance, avec une augmentation de plus de 1000 appels et courriels et d’une dizaine d’interventions extérieures (c’est-à-dire d’actions de sensibilisation et de formation, réalisée à la demande des administrations, collectivités et d’établissement d’enseignement secondaire et supérieur à destination de leurs agents) entre 2023 et 2024. Sur le temps plus long, l’augmentation du volume de dossiers se confirme puisque les chiffres de l’année 2024 s’établissent à plus du double de ceux de 2016 en matière de déclarations de situation (à peine plus de 6000 déclarations sur l’année 2016), tandis que le nombre d’avis rendus en matière de mobilité du privé vers le public ou du public vers le privé est un tiers plus important que lors de la première année d’exercice de cette compétence par la Haute Autorité (482 avis sur l’année 2020). 

Cette augmentation du volume des dossiers à traiter ne s’est cependant pas accompagnée d’une augmentation significative du budget de la Haute Autorité – au contraire, puisque si sa dotation devait s’élever à un peu plus de 10,2 millions d’euros pour l’année 2024, la HATVP n’a pas échappé à la vague d’annulation de crédits du mois de février 2024 et a ainsi retrouvé un niveau de financement à peu près équivalent à celui de l’année 2023 (soit un peu plus de 9,8 millions d’euros). 

Il faut donc à la fois souligner et saluer l’augmentation permanente du nombre de dossiers effectivement traités par la Haute Autorité. C’est particulièrement le cas concernant les déclarations de situation patrimoniale et d’intérêts contrôlées par la HATVP : sur les plus de 13000 déclarations reçues en 2024, ce sont ainsi 5122 qui ont été contrôlées (contre 3536 pour l’année 2023), essentiellement déposées par des sénateurs ou députés, soit nouvellement élus, soit « sortants », ainsi que par les nouveaux membres des gouvernements successifs et les membres de leur cabinet. C’est donc aussi le cas en matière de contrôle déontologique.

Sur un plan plus qualitatif, le bilan de l’année est assez contrasté. Si la HATVP souligne à plusieurs reprises, et pour l’ensemble de son champ de compétence, les efforts faits par les responsables publics concernant la qualité et la conformité de leurs déclarations et dossiers, ce n’est pas sans relever quelques points noirs, plus ou moins importants.

Ainsi, l’une des améliorations les plus nettes et les plus notées par la Haute Autorité concerne  une hausse de près de dix points du nombre de déclarations d’activités de représentation d’intérêts déposées dans le délai légal de trois mois à compter de la clôture de l’exercice comptable de la personne concernée (de 59 % en 2023 à 68 % en 2024). À l’issue de la première phase de relance assurée par la HATVP (jusqu’à 21 jours après la date légale de dépôt), le chiffre est monté à 89 %, de sorte qu’une unique transmission au parquet a été réalisée pour l’année 2024. À noter cependant que le nombre de mises en demeure émises pour obtenir l’ensemble des déclarations a, quant à lui, explosé ; alors que seules 5 mises en demeure avaient été nécessaires en 2023, 129 ont été envoyées.

Au sujet de cette mission spécifique de contrôle de l’activité de représentation d’intérêt, la HATVP prend par ailleurs acte du très commenté arrêt du Conseil d’État du 14 octobre 2024 (no 472123) et de l’annulation de certaines de ses lignes directrices. Pour rappel, cet arrêt implique une sortie partielle des think tanks (ou laboratoire d’idées) du giron de la loi no 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, et qui fonde les obligations déclaratives imposées aux personnes morales et physiques engagées dans des activités de représentation d’intérêts… uniquement dans la mesure où les « conditions dans lesquelles [le think tank] est financé, [les] modalités de sa gouvernance et [les] conditions dans lesquelles ses études et travaux sont menés » n’impliquent pas qu’il poursuive la défense d’un intérêt, tel que le définit la loi de 2013. 

Du côté des déclarations de situation patrimoniale et d’intérêts, plus de la moitié de l’ensemble des exigences sont imposées par la loi (pour rappel, il s’agit d’exigences d’exhaustivité, d’exactitude et de sincérité) – pour toutes les autres, les erreurs, manquements ou imprécisions sont jugés comme « ne portant pas à conséquence ». Ainsi, et quand bien même la Haute Autorité a dû prononcer un nombre assez important de relances et d’injonctions de dépôts de ces déclarations (respectivement 1000 et 99), seuls 27 dossiers ont dû faire l’objet d’une transmission à la justice pour non-dépôt persistant de déclaration. 

Il faut cependant noter, même si le rapport annuel passe très rapidement sur cette précision (d’ailleurs totalement absente de la synthèse), que l’on y retrouve pour la première fois les dossiers de trois députés. Nous y reviendrons concernant les principales propositions faites à l’issue de ce rapport, mais la HATVP ne se satisfait pas de cette solution pénale « de dernier recours » – il faut dire que le temps judiciaire, et en particulier pénal, crée une situation de distorsion temporelle péniblement compensée par les condamnations effectivement prononcées. Celles reprises dans ce rapport l’ont été au regard de transmissions réalisées en 2019 et 2022, parfois même après la fin du mandat du responsable public concerné (il s’agit d’ailleurs de la condamnation la plus lourde, à 10 000 euros d’amende, trois mois d’emprisonnement avec sursis et trois ans d’inéligibilité).

Cette même ambivalence se retrouve concernant les contrôles déontologiques, c’est-à-dire les contrôles préalables à la nomination (mobilité du privé vers le public), les contrôles de la mobilité vers le secteur privé (mobilité du public vers le privé) et les situations de cumul d’activité pour création ou reprise d’entreprise. Dans leur immense majorité, ces contrôles ont débouché sur des avis de compatibilité, eux-mêmes majoritairement assortis de réserve (71,3 % pour les contrôles préalables à la nomination, 100 % pour les cumuls et 76,4 % pour les mobilités vers le secteur privé), c’est-à-dire d’instructions contraignantes destinées à prévenir la survenue des risques de conflits d’intérêts identifiés par la Haute Autorité. Parmi les réserves effectivement prononcées sur l’année 2024, on retrouve ainsi, notamment, l’interdiction de réaliser des prestations au profit de la (ou des) commune(s) au sein de laquelle (desquelles) le responsable public était employé (délibération no 2024-224 du 13 février 2024), ou l’interdiction d’entrer en contact avec les « ministres dans le cabinet desquels [le responsable public a] exercé des fonctions » pendant trois ans (délibération no  2024-298 du 5 novembre 2024). À côté de ces avis de compatibilité, on note cependant 27 avis d’incompatibilité (en matière de mobilité vers le secteur privé), dont aucun ne concerne un ancien membre du gouvernement ou un ancien titulaire d’une fonction exécutive locale). La HATVP souligne cependant que, à moyen et long terme, ses moyens et ses prérogatives rendent le suivi réel de ses avis et réserves compliqué, voire limité aux situations les plus à risque. Compte tenu de l’augmentation importante des cas de mobilité de responsables publics (dans un sens comme dans l’autre) et de la situation budgétaire de l’État, cette situation ne semble cependant pas appelée à s’inverser.

III- Un nouveau chef de compétence : la prévention des ingérences et influences étrangères

Outre le déploiement des chefs de compétence « habituels » de la HATVP sur l’année 2024, la Haute Autorité a vu une nouvelle mission lui échoir au titre de la loi no 2024-850 du 25 juillet 2024 visant à prévenir les ingérences étrangères en France : la prévention et de limitation des risques d’ingérence étrangère. Cette loi est issue d’un travail mené conjointement par la Haute Autorité elle-même et l’OCDE depuis 2023, en lien direct, bien sûr, avec l’attaque de l’Ukraine par la Russie et les différentes actions de déstabilisation (notamment électorale) orchestrée par Moscou. Ce travail a ainsi débouché sur un rapport, publié le 22 avril 2024, et sur des recommandations visant à pallier les lacunes du dispositif d’identification, de traçabilité et de contrôle préexistant des actions d’influence exercées depuis l’étranger (ou pour le compte d’États étrangers). La loi du 25 juillet 2024 constitue ainsi la traduction de ces recommandations, en particulier de celles concernant le déploiement d’un dispositif spécifique auprès de la Haute Autorité.

Avant cette loi, l’intervention de la HATVP dans ce domaine était indirecte et passait par la réalisation de ses trois autres missions (le contrôle des activités de représentation d’intérêts, renforcés depuis 2023 dès lors qu’un État étranger est impliqué, le contrôle des mobilités du privé vers le public ou du public vers le privé et le contrôle des situations patrimoniales et des intérêts). Son arsenal a donc été étoffé par la loi de juillet 2024. Un nouveau répertoire des activités d’influence réalisées pour le compte d’un mandant étranger, à côté de celui des représentants d’intérêts « classiques », est ainsi confié à la Haute Autorité, au sein desquels devront s’inscrire et se déclarer toutes les personnes physiques et morales qui, « sur l’ordre, à la demande ou sous la direction et le contrôle d’un mandant étranger (…) et aux fins de promouvoir les intérêts de ce dernier », mènent « une ou plusieurs actions destinées à influer sur la décision publique » (nouvel article 18-11 de loi du 11 octobre 2013), sans égards au fait que cette activité de promotion d’intérêts soit ou non l’activité principale, ou même une activité régulière, de l’entité concernée. La loi prévoit d’ailleurs que les think tanks, laboratoires d’idées et instituts sont soumis à une obligation de déclaration de leurs financements étrangers auprès la HATVP – peu importe, donc, qu’ils poursuivent ou non un intérêt identifié.

Si une partie des dispositions de la loi étaient d’application immédiate (notamment l’ensemble des dispositions pénales, ainsi qu’un dispositif expérimental permettant l’extension des traitements algorithmiques prévus en matière de menace terroriste aux cas d’ingérences étrangères et menaces pour la défense nationale jusqu’au 30 juin 2028), celles directement relatives à la HATVP ne sont que partiellement entrées en vigueur au 1er juillet 2025. S’appliquent ainsi désormais les obligations de déclaration et d’inscription au nouveau registre, les mécanismes de rappel, de mise en demeure, d’avis de manquement et d’astreinte en cas de non-respect de ces obligations, le dispositif d’articulation en cas de double obligation d’inscription et de déclaration (au titre d’une activité de représentation d’intérêts « classique ») et les sanctions pénales encourues en cas de non-respect de ces obligations. 

Cette entrée en vigueur intervient néanmoins en l’absence du décret en Conseil d’État prévu par la loi pour fixer les modalités précises de mise en œuvre de ces dispositions, et en particulier des modalités de communication par téléservices des informations faisant l’objet d’une obligation de déclaration. Compte tenu du délai très court imposé à cette déclaration (les personnes concernées ont quinze jours ouvrés pour faire connaître leur identité, celle de leurs mandats étrangers et la nature du lien qui les relient dès lors que les actions d’influence ont démarré, puis un mois à compter de la fin du trimestre civil en cours pour compléter sa déclaration), la question reste donc ouverte de la manière dont ces obligations pourront, à court terme, être respectées.

IV- Des propositions persistantes

Paradoxalement, et en parallèle d’une année 2024 particulièrement remuante, les propositions avancées par la HATVP pour les années à venir brillent par leur… absence d’originalité. Certaines de ces propositions étaient ainsi déjà présentes dans le rapport annuel de l’année 2023, voire d’ailleurs dans les rapports annuels encore antérieurs – c’est notamment le cas de la question abordée plus haut de l’attribution d’un pouvoir propre de sanction administrative, en cas de non-dépôt d’une déclaration de situation patrimoniale ou d’intérêts ou d’une déclaration d’activités de représentation d’intérêts (à noter que l’on retrouve cette proposition dans les rapports annuels depuis 2018). C’est aussi le cas de l’octroi d’un droit de communication directe et générale de la Haute Autorité dans le cadre de ses trois missions principales, auprès des différentes entités susceptibles d’être concernées par l’activité de contrôle de la HATVP ou de celles susceptibles de lui transmettre des informations pertinentes quant aux activités et situations contrôlées. 

À noter, cela dit, une petite nouveauté : dans le contexte du déploiement de sa quatrième mission d’identification et de lutte contre les ingérences et influences étrangères, la HATVP propose une modification supplémentaire de la loi du 11 octobre 2013, de manière à lui permettre d’assortir les avis qu’elle émet en matière de mobilité du public vers le privé de réserves liées à des risques d’influence étrangère.

Pour aller plus loin

  • Sur l’arrêt du 14 octobre 2024 du Conseil d’État, voir (notamment) C. Meurant, « Les think tanks ne sont (en principe) pas des lobbyistes », Blog JusPoliticum, 17 novembre 2024, lien direct.
  • Pour un commentaire détaillé de la loi no 2024-850 du 25 juillet 2024 et de ses ambiguïtés, voir (notamment) G. Beaussonie et M. Secongs, « À propos de la loi no 2024-850 du 25 juillet 2024 visant à prévenir les ingérences étrangères en France », RSC, 2024, 857.
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