Le compte est bon ?

Portrait officiel de Sébastien Lecornu Ministre des Armées (cropped)

Par John-Christopher ROLLAND, Maître de conférences à l’Université Paris Nanterre

Lorsque la première mouture du Gouvernement Lecornu I a été dévoilée dimanche 5 octobre 2025 nul ne pouvait prédire une démission aussi rapide. Un mois et un jour s’agissant du Premier Ministre le plus éphémère de la Ve République et seulement 14 heures pour le reste de son Gouvernement, telles sont les durées records de longévité de la première tentative d’un Gouvernement Lecornu.

Quelles peuvent être les hypothèses avancées pour expliquer une démission aussi rapide ?

D’abord, il peut s’agir d’un geste de panache d’un Premier ministre secoué par les critiques adressés quant à la composition de son Gouvernement. Une forme de perpétuation a, en effet, été pointée à l’égard de renouvellements trop peu nombreux. En somme, le Gouvernement Lecornu était trop semblable au Gouvernement démissionnaire ayant travaillé aux côtés du Premier ministre François Bayrou. Aussi, une absence de « rupture », mot à la mode lecornusienne pourrait être à l’origine de son départ.

Ensuite, il peut être avancé que le seul nom de Bruno Le Maire, éphémère ministre des armées a réussi à cristalliser l’ire des Républicains portées par un Bruno Retailleau qui exprime une forme d’« absence de confiance » du Premier ministre à son endroit quant au choix, pour le moins « ésotérique » de l’ancien ministre de l’économie. 

Enfin, et plus probablement, ce sont les comptes effectués par Sébastien Lecornu durant la nuit du dimanche au lundi. Quels comptes ? Tout simplement l’arithmétique de la censure. Au-delà de la composition du Gouvernement, il est probable que les partis représentés – de façon très fracturée – à l’Assemblée nationale, doutaient sérieusement qu’un programme de « rupture » puisse être porté par un Gouvernement quasi similaire au Gouvernement Bayrou. Ainsi, le compte des voix risquant de se reporter sur la censure (spontanée faute de 49 al. 3) était vite réalisé. Les 289 voix nécessaires pour renverser l’attelage étaient, à coup sûr, à portée de main.

La donne a-t-elle fondamentalement changé ? 

Il est tout à fait inédit et rocambolesque qu’un Premier ministre démissionnaire, qui de surcroît a fait savoir directement, puis, par le truchement de son entourage, qu’il n’entendait pas poursuivre sa mission, soit renommé par le Président de la République.

Certes, l’article 8 de la Constitution lui permet, sans la moindre réserve, de renommer la même personne. Toutefois, cela est plus surprenant quand cette dernière a exprimé si ce n’est son refus absolu au moins sa non-envie manifeste de rempiler. La Ve n’en est plus à ça près…

Si les calculs « n’étaient pas bons Sébastien », lorsqu’il a présenté la première version de son Gouvernement, il est loisible de se demander si, en procédant à la nomination d’un deuxième Gouvernement, l’arithmétique lui sera plus favorable. Il est permis d’en douter.

D’abord, la deuxième équipe se présente comme plus « technique » et, par conséquent, moins politique. Le terme « technique » a de quoi surprendre. En effet, l’article 20 de la Constitution dispose que le Gouvernement « détermine et conduit la politique de la nation » et non la « technique » de la nation. Il y a là un hiatus difficilement concevable mais passons…

Ensuite, si l’on observe les titulaires des grands ministères régaliens, ils sont soit les mêmes soit occupés par un membre du précédent Gouvernement. Ainsi, à la Justice on retrouve Gérald Darmanin, aux Affaires étrangères Jean-Noël Barrot, à la Défense Catherine Vautrin (qui était au Travail), à l’Économie Roland Lescure. Bis repetita ! Il n’y a guère qu’à l’Éducation nationale qu’un (presque) nouveau visage apparait en la personne d’Edouard Geffray puisqu’à l’Intérieur, on retrouve Laurent Nuñez, l’ancien secrétaire d’État auprès de Christophe Castaner… Sans péjorer les qualités ni l’importance des autres ministères qui vivent un renouvellement, il est possible de dire que, derrière la vitrine régalienne inchangée ou presque, il s’agit d’un remaniement technique et, cette fois-ci, au sens le plus pur.

Enfin, alors que le calendrier budgétaire défini à l’article 47 de notre Constitution est déjà quelque peu malmené, les groupes qui menacent de provoquer une censure comptent déjà 265 députés. Il en manquerait donc (seulement 24) pour emporter la chute du Gouvernement. Le Gouvernement doit rendre une copie budgétaire qui satisfasse à la fois le Parti Socialiste (la France insoumise ayant déjà indiqué que la censure était inévitable) et les partis les plus à droite de son « socle » qui n’a plus rien de commun. Pour le parti socialiste les choses sont plus complexes encore. Pris entre deux élans contradictoires, il risque en jouant la carte de la « responsabilité » de s’isoler du reste de la gauche ce qui, à quelques mois des municipales, pourrait entraîner des revers électoraux. De la même manière, il pourrait être le relais du syndicat C.F.D.T. dans l’hypothèse où ce dernier appellerait à éviter la censure. Mais ce serait sans doute reculer pour…moins bien sauter ! Quant aux Républicains, après avoir soutenu la copie budgétaire de François Bayrou à grand coups d’arguments et de menaces apocalyptiques, accepter un budget suspendant la réforme des retraites reviendrait à renoncer à leur posture idéologique pourtant fermement martelée. 

Sacrée gageure ! Le fameux « chemin » répété à l’envi par les proches du Président se rétrécit à vue d’œil. Faute de majorité programmatique et faute de majorité basée sur de véritables compromis librement consentis, on pourrait tout bonnement découvrir la majorité de la peur : peur de la dissolution.

Si en politique le pire n’est jamais certain, force est de constater que les comptes sont, en apparence, vraiment pas bons. 

Le compte est bon ?

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Par John-Christopher ROLLAND, Maître de conférences à l'Université Paris Nanterre

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