La Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Politique (HATVP) et le Déontologue de l’Assemblée nationale viennent de connaitre deux évolutions parallèles.
1° Interruption prématurée du mandat
Dans des contextes bien différents, le mandat de la personne qui incarne et dirige l’instance déontologique s’est interrompu.
A son initiative, d’abord. Didier MIGAUD avait été nommé président de la HATVP par décret du président de la République du 31 janvier 2020 pour une durée de six ans non renouvelables. Après avoir présidé la Cour des comptes, il succédait à Jean-Louis Nadal, magistrat de l’ordre judiciaire, à la tête de la Haute Autorité. Dans un message diffusé à l’époque aux membres des juridictions financières, il expliquait avoir accepté la proposition du chef de l’Etat en raison des finalités de la présidence de la HATVP, fonction « au service de la transparence de la vie publique qui exige la même impartialité et la même indépendance » que la présidence de la Cour des comptes. Son mandat s’est interrompu le 21 septembre 2024 suite à sa nomination en tant que Garde des sceaux Ministre de la justice au sein du Gouvernement de Michel BARNIER. C’est donc volontairement que le président de la HATVP a laissé vacante sa place pour poursuivre une aventure politique – éphémère – place Vendôme. L’interim de l’institution a alors été confié au doyen d’âge, Patrick Matet, par un décret présidentiel du 24 septembre 2024. La décision de Didier MIGAUD illustre une pratique singulière et très « française » : d’anciennes personnalités politiques qui siègent au sein d’institutions indépendantes n’hésitent pas à abandonner leur mandat pour « un maroquin ». On se souvient, dans un cas similaire, que Nicole BELLOUBET, membre du Conseil constitutionnel de 2013 à 2017, a accepté de rentrer au Gouvernement le 21 juin 2017, mettant fin à sa fonction de conseiller constitutionnel cinq ans avant le terme de son mandat. La culture politique française admet (voire encourage) la pertinence de ces passerelles, là où le phénomène serait dénoncé comme une atteinte aux règles élémentaires de l’exemplarité à l’étranger.
Contre son gré, ensuite. De son côté, Jean-Éric Gicquel, professeur de droit public à l’université de Rennes, assurait le mandat de Déontologue de l’Assemblée nationale depuis sa nomination par une décision du Bureau du 18 janvier 2023. Suite à la dissolution du 9 juin 2024, il a dû officiellement cesser ses fonctions à compter du 31 janvier 2025. En effet, selon l’article 80-2, alinéa 2 du Règlement de l’Assemblée nationale, son mandat court « jusqu’à la fin du sixième mois qui suit le premier jour de la législature suivante » étant précisé, en vue de garantir son indépendance que « son mandat n’est pas renouvelable ». Comme il le déplore lui-même dans son rapport remis le 9 avril dernier : « (…) mes fonctions de Déontologue, censément durer jusqu’en décembre 2027, se sont arrêtées le 31 janvier 2025 – un intérim étant, en pratique, assuré jusqu’au 30 avril. Quoi qu’il en soit, la règle selon laquelle le mandat continue d’être exercé pendant les six premiers mois de la nouvelle législature est tout à fait pertinente. Chacun a saisi son intérêt : éviter que des néo-députés s’adressent à un néo-Déontologue découvrant lui-aussi les subtilités et le byzantinisme de la déontologie parlementaire. […] Ces considérations personnelles mises de côté, il conviendrait pour l’avenir de renforcer l’autorité du Déontologue en lui accordant davantage de stabilité institutionnelle » (« La déontologie parlementaire à l’épreuve de la dissolution », p.15 ). Le choix de l’Assemblée nationale de lier la nomination d’un déontologue au commencement d’une Législature est effectivement très contestable. La règle ne se justifie qu’au regard du principe d’autonomie parlementaire : les nouveaux élus choisissent, en Bureau, à la majorité des trois cinquièmes de ses membres, une personnalité proposée par la Présidente avec l’accord d’au moins un Président ou une Présidente d’un groupe d’opposition. Mais cette liaison entre la formation d’une nouvelle chambre et la nomination du Déontologue présente l’inconvénient de politiser le choix de la personnalité retenue et, par le jeu des législatures écourtées, il banalise le cas du Déontologue éphémère : depuis la création de la fonction, la durée de vie moyenne d’un Déontologue est de deux années.
2° Nomination d’un profil de « haut fonctionnaire »
L’instance déontologique de l’Assemblée nationale et la HATVP sont désormais dirigées par des personnalités ayant exercé des fonctions éminentes au sein de la Haute fonction publique.
Le choix d’un ancien de la Maison au poste de Déontologue. Rémy SCHENBERG a été nommé Déontologue par une décision du Bureau du 9 avril 2025, soit bien au-delà du délai prévu par les textes. En application des dispositions du règlement de l’AN, Jean-Éric Gicquel cessant ses fonctions à compter du mois de janvier 2025, un nouveau Déontologue aurait dû être nommé dès le mois de janvier 2025. Il s’avère que dans un contexte particulièrement imprévisible et instable, la précarité du Déontologue – mandat soumis aux aléas d’une nouvelle dissolution – n’attire probablement pas les candidatures, même si le Bureau a pu examiner, sur proposition de la Présidente de l’AN, le 22 janvier, celle de Cécile UNTERMAIER, ancienne députée, battue lors des Législatives de 2024. Sur ce dernier point, le profil de Rémi SCHENBERG est évidemment plus en adéquation avec les attentes de la fonction. Juriste et diplômé de l’IEP de Paris, il a suivi un parcours professionnel au sein de l’administration parlementaire, étant d’abord administrateur au service des Archives puis de la Commission des finances de l’Assemblée nationale. Il connait parfaitement le Palais Bourbon puisqu’il a ensuite occupé le poste de Directeur général des services entre 2016 et 2021 (avant de rejoindre la Cour des comptes comme conseiller maître en service extraordinaire). Après Christophe PALLEZ, Secrétaire général de la questure, qui a exercé la fonction de Déontologue du 1er janvier 2021 au 31 décembre 2022, cette nomination se porte pour la deuxième fois sur un ancien haut fonctionnaire parlementaire. Au-delà des qualités intuitu personae de l’impétrant dont atteste son parcours professionnel, ce choix exprime clairement la volonté des élus de faire confiance à un ancien de la Maison pour contrôler les règles déontologiques en interne. Sa connaissance des rouages et des personnels du Palais Bourbon contribue à rendre opérationnel immédiatement ce nouveau Déontologue, même si – il faut toujours le rappeler – en cette matière le Bureau conserve volens nolens le pouvoir de dernier mot (parfois au grand dam des Déontologues). Accepter – pour une personnalité qui incarne la déontologie au sein d’une institution – de ne pas être suivi par l’organe qui prend les décisions (suite au signalement d’un comportement inapproprié ou à une proposition de réforme du code de déontologie) est aussi une qualité que les fonctionnaires parlementaires ont sans doute moins de mal à cultiver que les professeurs de droit, attachés à une certaine idée de l’indépendance et de la liberté académique.
Un conseiller d’Etat à la HATVP. Jean MAIA, conseiller d’Etat, est devenu président de la HATVP par un décret présidentiel du 26 mars 2025. Ancien Secrétaire Général du Conseil constitutionnel (2017-2025), son parcours s’inscrit dans les pas des grands commis de l’État puisqu’il est diplômé de Normal Sup-Ulm, de Science Po et de l’ENA. Après avoir été dirigé par un haut magistrat judiciaire (Jean-Louis NADAL, 2013-2019), puis par un ancien président de la Cour des comptes, issu du monde politique (Didier MIGAUD, 2020-2024), l’institution en charge des contrôles de la probité des responsables publics revient à un membre du Conseil d’Etat. Réputé pour sa discrétion, sa force de travail et ses grandes qualités intellectuelles, Jean MAIA n’est cependant nommé que pour une présidence à durée limitée puisqu’en application des textes, le remplacement d’un président en cours de mandat court jusqu’à la fin des six ans initialement prévus. Cependant, à la différence de l’ancien Déontologue, il pourra être renommé à l’issu de son mandat dans la mesure où les dispositions de l’article 7 de la loi portant statut général des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes le permettent. Comme l’explique le nouveau président MAIA lors de son audition devant la commission des lois de l’Assemblée nationale : « Je me présente à vous pour exercer la fin du mandat qu’avait entamé M. Migaud à la tête de la HATVP. À l’issue de cette période, il appartiendra au Président de la République de concevoir un nouveau projet de nomination, qui appellera votre consultation. Pour l’heure, je nourris l’espoir de pouvoir être utile à la présidence de la HATVP. ». On ne peut que déplorer, comme pour le Déontologue de l’AN, que le président MAIA ne soit pas nommé pour un mandat fixe de six ans. Les instances déontologiques ont besoin de stabilité et d’incarnation si l’on entend prendre au sérieux leur mission.