La naissance de la coalition Merz : un long fleuve pas si tranquille

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Par Basile RIDARD, Maître de conférences à l’Université de Lille

Ce texte constitue une version largement remaniée d’un billet publié le 18 mars 2025, intitulé « La formation d’une grande coalition en Allemagne, car “ le monde n’attend pas ” », qui ne traitait que de la chute de l’ancienne coalition et des résultats des élections du 23 février dernier. Cette nouvelle version est publiée sous la forme d’un nouveau billet, mais le lecteur ne devra pas s’étonner d’y retrouver des passages de la première version.

Une élection laborieuse au poste de Chancelier

Pour la première fois depuis la fondation de la République fédérale d’Allemagne en 1949, le candidat au poste de Chancelier n’est pas parvenu à être élu au premier tour par les députés, le 6 mai dernier. Friedrich Merz, qui avait affirmé au soir des élections législatives allemandes du 23 février 2025 que « le monde n’attend pas pour former une coalition », a finalement échoué, plus de deux mois plus tard, à réunir d’emblée la majorité absolue des membres du Bundestag. Ce coup de tonnerre retentissant, au Bundestag et au-delà, est venu affaiblir politiquement le Gouvernement de coalition avant même sa mise en place officielle. Un tel revers électoral était également susceptible de remettre en cause l’emploi du temps diplomatique du futur Chancelier, qui était attendu à Paris puis à Varsovie dès le lendemain pour y rencontrer respectivement le Président français et le Premier ministre polonais.

Ce résultat a conduit à l’application inédite de l’article 63 alinéa 3 de la Loi fondamentale (LF), qui précise que « si le candidat proposé [par le Président fédéral] n’est pas élu, le Bundestag peut élire un chancelier fédéral à la majorité de ses membres dans les quatorze jours qui suivent le scrutin ». Pour surmonter au plus vite cette débâcle électorale, un nouveau vote a été organisé quelques heures plus tard, à l’issue duquel le député Merz, chef du parti conservateur, a été élu chef du Gouvernement allemand par 325 députés. Ce second tour n’a toutefois pu être organisé le jour même qu’après le vote d’une motion visant à déroger au règlement intérieur du Bundestag et soutenue par la CDU/CSU, le SPD, les Verts et la Gauche, qui réunissaient ainsi la majorité requise des deux tiers des députés. Cette élection s’explique essentiellement par le fait que quelques députés issus des partis de la coalition gouvernementale, insatisfaits du contenu de l’accord de coalition et réticents à soutenir le candidat à la chancellerie dès le premier tour, ont décidé cette fois de voter en sa faveur. Immédiatement après son élection, ce dernier a été nommé officiellement Chancelier par le Président fédéral, conformément à l’article 63 alinéa 2 LF. Le chef de l’État a procédé par la suite à la nomination des ministres fédéraux sur proposition du nouveau chef de Gouvernement, en vertu de l’article 64 alinéa 1er LF. L’installation du nouveau Cabinet fédéral est intervenue très rapidement, dans la mesure où sa composition était déjà prévue dans le contrat de coalition signé la veille entre les dirigeants de la CDU/CSU et du SPD.

Les négociations politiques, préalable nécessaire à la formation du Gouvernement de coalition

L’entrée en fonction du nouveau Gouvernement clôt ainsi le dernier chapitre de cette période de transition dont la durée est tout à fait ordinaire outre-Rhin, le processus se déroulant en moyenne pendant deux mois. Son aboutissement avait toutefois été largement anticipé, quand on sait que les négociations de coalition (Koalitionsverhandlungen) avaient été lancées dès le lendemain des élections et qu’un accord de principe avait été conclu dès le 8 mars entre conservateurs et sociaux-démocrates. Ce « document exploratoire » (Sondierungspapier) avait alors marqué le terme de la première phase des négociations. Ce « pré-accord » mettait déjà en lumière les points de tension et les points de convergence entre les partenaires de coalition. Bien qu’en vertu d’une règle tacite, « le plus grand parti est le chef cuisinier, le plus petit est le serveur »(1), le SPD avait alors déjà été en mesure d’obtenir satisfaction dans ses discussions avec la CDU/CSU, notamment en matière d’emprunt et d’investissement ou encore sur la promesse d’un salaire minimum à 15 euros en 2026 (2). Les échanges ultérieurs pour parvenir à un contrat de coalition en bonne et due forme se sont poursuivis à huis clos entre les 192 émissaires de ces trois partis politiques pendant quelques semaines, avant d’aboutir le 9 avril dernier à la présentation officielle du document par les partenaires de coalition.

Intitulé « Responsables pour l’Allemagne », cet accord politique de 144 pages vient ainsi sceller le programme de réforme des quatre prochaines années. Il est, de ce point de vue, moins exhaustif que celui du précédent gouvernement, détaillé en 177 pages et qui fixait, de manière classique, la répartition des postes ministériels et la rédaction précise du contrat de coalition. Ce texte de compromis est politiquement équilibré, dans la mesure où 48 % des phrases qui le composent apparaissent plus proches du programme du SPD et 52 % du programme de la CDU/CSU (3). En revanche, la répartition des ministères est clairement favorable aux conservateurs, avec 6 postes à la CDU et 3 postes à la CSU, contre 7 postes au SPD, à qui il revient des portefeuilles importants tels que les finances, la défense, la justice ou encore l’environnement. Alors que la CSU a validé le contrat de coalition dès le lendemain de sa présentation, les états-majors des partis politiques ont dû s’organiser pour en permette son adoption en interne, pour la CDU lors d’une conférence le 28 avril et pour le SPD lors d’un vote en ligne ouvert à ses 358 000 adhérents jusqu’au 29 avril.

Il était en effet impératif pour les équipes de ces partis de s’entendre sur un programme commun et de leur faire valider dans un délai raisonnable afin de permettre la formation d’un Gouvernement de plein exercice pour avancer sur les questions les plus pressantes, eu égard au caractère dramatique des enjeux auxquels fait face l’Europe toute entière depuis l’annonce des premières mesures autant retentissantes qu’irrationnelles du nouveau président des États-Unis. La conclusion d’un tel contrat, généralement complexe mais nécessaire pour garantir une stabilité institutionnelle, est une étape déterminante dans la constitution d’un Gouvernement de coalition, qui est ensuite tenu de mener des réformes sur cette base tout au long de la législature. Ce document n’a toutefois qu’une valeur purement politique et n’engage que les partis qui les signent, sans aucune garantie de leur respect à moyen ou long terme. 

Un Chancelier en action avant même son entrée en fonction

Alors que l’accord de coalition définitif n’était pas conclu et qu’il n’était pas officiellement investi, le candidat Merz avait annoncé une hausse des dépenses de défense « quoi qu’il en coûte ». Cette importante prise de position politique était intervenue l’avant-veille du Conseil européen extraordinaire du 6 mars 2025, auquel avait alors participé son prédécesseur encore en poste, le Chancelier Scholz, et à l’occasion duquel un vaste plan d’augmentation des budgets militaires a été approuvé. En conséquence de cet engagement pris bien avant la mise en place du nouveau Gouvernement, le Bundestag sortant avait adopté le 18 mars de manière hâtive une révision constitutionnelle pour assouplir les règles du « frein à l’endettement » (Schuldenbremse) et permettre ainsi des investissements plus importants en matière de défense et d’infrastructures. Cette réforme importante de la Loi fondamentale a fait l’objet de critiques, dans la mesure où elle a été votée non par le nouveau (Neuer Bundestag) mais par « l’ancien Bundestag » (Alter Bundestag). Il était reproché à ce dernier de ne plus disposer de la légitimité démocratique nécessaire pour voter un texte législatif d’une telle importance, au regard de sa nature constitutionnelle.

La Cour constitutionnelle allemande a jugé cet argument dénué de fondement, dès lors que la durée de la légitimité d’un ancien Bundestag est déterminée par l’article 39 al. 1er LF, selon lequel la législature prend fin avec la réunion d’un nouveau Bundestag. Le Bundestag sortant disposait donc encore à ce stade d’une « pleine compétence » pour adopter un tel texte constitutionnel (4). L’objectif de la coalition naissante, en l’absence d’un contrat formalisé, était de pouvoir réunir la majorité des deux tiers des députés, comme l’exige l’article 79 alinéa 2, dans le cadre de l’ancien Bundestag. Ce dernier, au regard de sa composition politique, était en effet plus favorable à une telle réforme que le nouveau Bundestag, au sein duquel les groupes d’extrême droite Alternative für Deutschland et de gauche radicale Die Linke disposent d’une minorité de blocage.

De la chute de la coalition « feu tricolore »…

Nerf de la guerre, les politiques économiques et budgétaires ont d’ailleurs été à l’origine de la fin brutale et prématurée du Gouvernement de coalition précédent, provoquée par les profonds désaccords entre le Chancelier Scholz, chef de file du SPD, et le ministre des Finances Christian Lindner, président du parti libéral-démocrate (FDP). Ancrés dans le contrat de coalition tout en étant le fruit d’un équilibre fragile entre les trois partis politiques membres de la coalition, le SPD, le FDP et les Verts, certains engagements n’ont pas pu être tenus en raison de l’opposition ferme de Lindner à la volonté exprimée par Scholz de recourir à l’emprunt pour relancer l’économie et soutenir l’Ukraine. Au soir du 6 novembre 2024, ce dernier en a tiré les conséquences et limogé son ministre, entraînant par là même l’effondrement de la coalition « feu tricolore » (Ampel-Koalition), qui renvoie aux couleurs respectives des trois partis politiques formant cette alliance gouvernementale inédite au plan fédéral.

Se retrouvant à la tête d’un gouvernement minoritaire et confronté à l’impossibilité de mener ces réformes avec le soutien d’une majorité de parlementaires, le Chancelier Scholz a alors décidé de poser une « fausse » question de confiance (unechte Vertrauensfrage) dans l’objectif de provoquer des élections législatives anticipées (5). Cette demande de vote de confiance a été rejetée par le Bundestag le 16 décembre, avec 207 voix pour, 394 contre et 116 abstentions. Cette motion de confiance n’ayant pas obtenu l’approbation de la majorité des députés, le Chancelier a donc, conformément à l’article 68 alinéa 1er LF, demandé au Président fédéral de prononcer la dissolution du Bundestag. Il s’agissait alors du cinquième recours à cet instrument depuis la fondation de la République fédérale en 1949, marquant ainsi le coup d’envoi de la campagne en vue des élections législatives anticipées de février, qui auraient normalement dû avoir lieu en septembre 2025. Le Président Steinmeier a procédé en conséquence à la dissolution du Bundestag le 27 décembre 2024 et convoqué de nouvelles élections le 23 février 2025, conformément à l’article 39 alinéa 1er LF.

Ces élections ont été l’occasion de mettre en œuvre un mode de scrutin modifié par la loi électorale de mars 2023 dont l’objectif principal était de réduire la taille du Bundestag, celui-ci comptant 736 membres en 2021 contre 603 en 2002. Pour l’élection des députés, chaque électeur dispose de deux voix. La première voix (Erststimme) permet d’élire un candidat de sa circonscription au scrutin uninominal majoritaire à un tour, pour un total de 299 députés. La seconde voix (Zweitstimme) permet de voter pour un parti au scrutin de liste proportionnel, le pourcentage obtenu par chaque parti au plan fédéral déterminant la répartition des sièges au Bundestag, avec un seuil de 5 % des suffrages exprimés pour qu’un parti soit représenté, à moins qu’il remporte 3 sièges de circonscription au moins. Alors que le nombre théorique de députés était de 598, celui-ci était systématiquement dépassé. Ce système complexe générait ainsi des « mandats surnuméraires » (Überhangsmandate) pour les partis obtenant plus de sièges de circonscription que leur part proportionnelle et aménageait des « mandats compensatoires » (Ausgleichsmandate) pour ne pas léser les autres partis, respectivement au nombre de 34 et de 104 mandats à l’issue des élections de 2021.

Afin de remédier à cette situation, la réforme de mars 2023 a fixé le nombre total de députés à 630, supprimant les mandats surnuméraires et compensatoires en limitant la représentation à la proportion des secondes voix. En d’autres termes, des candidats arrivés en tête dans leur circonscription mais dont le parti obtiendrait un score trop faible au plan national ne seront désormais plus élus. Cette partie de la réforme a été validée le 30 juillet 2024 par la Cour constitutionnelle allemande, qui a en revanche censuré la mesure législative visant à supprimer la possibilité pour un parti vainqueur dans au moins trois circonscriptions d’être représenté au Bundestag alors même qu’il a obtenu moins de 5 % des voix à l’échelle nationale.

…à l’avènement de la coalition « noire-rouge »

La campagne électorale a été caractérisée par une polarisation accrue du paysage politique allemand. Le parti Alternative pour l’Allemagne (AfD) a profité du climat de mécontentement pour renforcer sa position, en mettant en avant les questions liées à l’immigration et à l’identité nationale. En dépit de manifestations importantes contre l’extrême droite en janvier et sans doute porté par les déclarations complaisantes des américains J.D. Vance et Elon Musk, l’AfD a finalement doublé son score par rapport au précédent scrutin. Lors des élections du 23 février, il a recueilli plus de 20 % des voix et est arrivé en deuxième position derrière la CDU/CSU, qui obtient plus de 28 % des voix, tandis que le SPD est relégué à la troisième place, avec seulement 16 % des voix, score historiquement bas alors que la participation est exceptionnellement élevée, atteignant 82 % du corps électoral. À l’origine de la chute du gouvernement sortant, le FDP a été lourdement sanctionné dans les urnes, puisqu’il a récolté moins de 5 % des voix, seuil électoral exigé pour obtenir des sièges au Bundestag. Son président, Christian Lindner, a tiré les conséquences de cet échec et annoncé se retirer de la vie politique.

Au soir des résultats des élections législatives fédérales, le candidat à la chancellerie et chef de la CDU Friedrich Merz, immédiatement après s’être félicité de l’importante victoire de son parti, a annoncé que le contexte géopolitique mondial imposait de former le plus rapidement possible un gouvernement capable d’agir, tout en jugeant que la tâche serait difficile. Plusieurs ténors de son parti ont alors affirmé d’emblée leur refus de constituer une coalition gouvernementale avec les Verts et la nécessité pour le SPD de faire évoluer nettement certaines de ses positions politiques pour que l’hypothèse d’une « grande coalition » ou « GroKo » (Große Koalition) puisse être sérieusement envisagée.

Désormais officiellement entrée en fonction, la grande coalition, aussi appelée coalition noire-rouge en référence aux couleurs respectives de la CDU/CSU et du SPD, est un type d’alliance gouvernementale relativement classique outre-Rhin. Ces trois partis historiques, dans l’impossibilité de former une majorité avec des partis politiques proches de leur orientation politique et mû par la volonté de maintenir un « cordon sanitaire » vis-à-vis des partis extrémistes, ont ainsi joint leurs forces dans le cadre de plusieurs coalitions, entre 1966 et 1969 puis pour trois des quatre gouvernements dirigés par Angela Merkel, soit près de quinze ans au total. Cette grande coalition marque donc le retour à une formation gouvernementale bien connue, à la suite de l’expérience de la coalition « feu tricolore ». Désormais aux commandes, Friedrich Merz et son Gouvernement ont pour objectif de « contribuer à façonner le changement dans le monde au profit de l’Allemagne ». L’avenir nous dira si cet engagement général formulé dans le contrat de coalition et, plus encore, l’ensemble des mesures détaillées dans cet accord politique entre conservateurs et sociaux-démocrates sera finalement tenues.

(1) Ainsi que l’avait affirmé en 1998 le chancelier SPD Schröder à son partenaire de coalition, Joschka Fischer, du parti des Verts. Cité par Pierre Mennerat, in « Un plan pour l’Allemagne : texte intégral de l’accord de principe pour la future coalition », Le Grand Continent, 9 mars 2025 : https://legrandcontinent.eu/fr/2025/03/09/un-plan-pour-lallemagne-texte-integral-de-laccord-de-principe-pour-la-future-coalition/ 

(2) Pour une analyse détaillée de cet accord de principe, cf. Ibid.

(3) Guillaume Duval et Pierre Mennerat, « Contrat de coalition allemand : le texte intégral traduit et commenté », Le Grand Continent, 15 avril 2025 : https://legrandcontinent.eu/fr/2025/04/15/contrat-de-coalition-allemand-le-texte-integral

(4) Cour constitutionnelle fédérale, décision du 14 mars 2025. Pour plus de détails, cf. Sebastian Roßner, « Alte Bundestag, neuer Bundestag », Heute im Recht, Beck, 2025 https://rsw.beck.de/aktuell/daily/meldung/detail/alter-bundestag-neuer-bundestag-bverfg-schuldenbremse-verfassung 

(5) Sarah Geiger, « Le changement de gouvernement en Allemagne – majorités constructives et négatives », JP Blog, 19 décembre 2024.

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